Massacre de Sabra et Chatila

Dans la nuit du 14 au 15 septembre 1982, le chef d’état-major de Tsahal, Raphael Eitan, s’est envolé pour Beyrouth où il s’est rendu directement au quartier général des phalangistes et a ordonné à leur direction d’ordonner une mobilisation générale de leurs forces et de se préparer à prendre part à la prochaine attaque israélienne sur Beyrouth Ouest. Il leur a également ordonné d’imposer un couvre-feu général dans toutes les zones qu’ils contrôlent et de nommer un officier de liaison qui sera posté au poste de commandement avancé des FDI. Il leur a dit que les FDI n’entreraient pas dans les camps de réfugiés mais que ce serait les forces phalangistes qui s’en chargeraient. Les chefs de milice ont répondu que la mobilisation leur prendrait 24 heures à organiser.

Le mercredi 15 septembre au matin, le ministre israélien de la Défense, Sharon, qui s’était également rendu à Beyrouth, a tenu une réunion avec Eitan au poste de commandement avancé de Tsahal, sur le toit d’un immeuble de cinq étages à 200 mètres au sud-ouest du camp de Shatila. Étaient également présents Avi Duda’i, l’assistant de Sharon, le directeur du renseignement militaire -Yehoshua Saguy, un officier supérieur du Mossad, le général Amir Drori, le général Amos Yaron, un officier du renseignement, le chef du GSS – Avraham Shalom, le chef d’état-major adjoint – le général Moshe Levi et d’autres officiers supérieurs. Il a été convenu que la Phalange devait se rendre dans les camps. Selon le rapport de la Commission Kahan, tout au long de la journée de mercredi, des tirs de G.P.R. et d’armes légères en provenance des camps de Sabra et Shatilla ont été dirigés vers ce poste de commandement avancé, et se sont poursuivis dans une moindre mesure le jeudi et le vendredi (16-17 septembre). Il a également ajouté que le jeudi matin, les combats avaient cessé et que tout était « calme et tranquille ».

Après l’assassinat du président chrétien libanais Bachir Gemayel, les phalangistes ont cherché à se venger. Le 15 septembre à midi, Sabra et Chatila avaient été encerclées par les FDI, qui ont mis en place des points de contrôle aux entrées et aux sorties et utilisé un certain nombre de bâtiments à plusieurs étages comme postes d’observation. Parmi eux se trouvait l’ambassade du Koweït qui, selon le magazine TIME, avait « une vue panoramique et dégagée » de Sabra et Chatila. Quelques heures plus tard, les chars des FDI ont commencé à bombarder Sabra et Chatila.

Le matin suivant, le 16 septembre, le sixième ordre des FDI relatif à l’attaque de Beyrouth Ouest a été émis. Il spécifiait : « Les camps de réfugiés ne doivent pas être pénétrés. La fouille et le nettoyage des camps seront effectués par les phalangistes/l’armée libanaise ».

Selon Linda Malone du Jerusalem Fund, Ariel Sharon et le chef d’état-major Rafael Eitan ont rencontré des unités de la milice phalangiste et les ont invités à entrer dans Sabra et Chatila, affirmant que l’OLP était responsable de l’assassinat de Gemayel. La réunion s’est terminée à 15h00 le 16 septembre.

Shatila était auparavant l’un des trois principaux camps d’entraînement de l’OLP pour les combattants étrangers et le principal camp d’entraînement pour les combattants européens. Les Israéliens ont affirmé qu’il restait 2 000 à 3 000 terroristes dans les camps, mais qu’ils n’étaient pas disposés à risquer la vie d’un plus grand nombre de leurs soldats après que l’armée libanaise eut refusé à plusieurs reprises de les  » chasser.  » Aucune preuve n’a été fournie à l’appui de cette affirmation. Les forces envoyées dans les camps étaient peu nombreuses et n’ont subi que des pertes minimes39 . Deux phalangistes ont été blessés, l’un à la jambe et l’autre à la main. Les enquêtes menées après le massacre ont trouvé peu d’armes dans les camps.:39 Thomas Friedman, qui est entré dans les camps le samedi, a surtout trouvé des groupes de jeunes hommes avec les mains et les pieds liés, qui avaient ensuite été alignés et mitraillés à la manière des gangs de terre, pas typique qu’il pense au genre de morts que les 2 000 terroristes signalés dans le camp auraient supporté.

Une heure plus tard, 1 500 miliciens se sont rassemblés à l’aéroport international de Beyrouth, alors occupé par Israël. Sous le commandement d’Elie Hobeika, ils ont commencé à se diriger vers la zone dans des jeeps fournies par Tsahal, certaines portant des armes fournies par Israël, en suivant les indications israéliennes sur la manière d’y pénétrer. Les forces étaient principalement phalangistes, bien qu’il y ait eu quelques hommes des « forces du Liban libre » de Saad Haddad. Selon Ariel Sharon et le garde du corps d’Elie Hobeika, les phalangistes ont reçu des avertissements « sévères et clairs » concernant le danger pour les civils. Cependant, il était alors connu que les phalangistes présentaient un risque particulier pour la sécurité des Palestiniens. L’édition du 1er septembre de Bamahane, le journal de l’armée israélienne, rapporte qu’un phalangiste a déclaré à un responsable israélien : « La question que nous nous posons est la suivante : comment commencer, en violant ou en tuant ? ». Un envoyé américain au Moyen-Orient a exprimé son horreur après avoir été informé des plans de Sharon d’envoyer les phalangistes à l’intérieur des camps, et les officiels israéliens eux-mêmes ont reconnu que la situation pourrait déclencher un « massacre implacable ».

La première unité de 150 phalangistes est entrée dans Sabra et Shatila à 18h00. Une bataille s’ensuivit qui, selon les Palestiniens, consistait parfois à aligner des Palestiniens pour les exécuter. Pendant la nuit, les forces israéliennes ont tiré des fusées éclairantes au-dessus de la zone. Selon une infirmière néerlandaise, le camp était aussi lumineux qu' »un stade de sport pendant un match de football ».

À 19h30, le Cabinet israélien s’est réuni et a été informé que les commandants phalangistes avaient été informés que leurs hommes devaient participer à l’opération et combattre, et entrer dans l’extrémité de Sabra, tandis que Tsahal garantirait le succès de leur opération bien que n’y participant pas. Les phalangistes devaient y aller « avec leurs propres méthodes ». Après l’assassinat de Gemayel, il y avait deux possibilités : soit les phalangistes s’effondraient, soit ils se vengeaient, ayant tué des Druzes pour cette raison plus tôt dans la journée. En ce qui concerne cette deuxième possibilité, il a été noté que « ce sera une éruption comme on n’en a jamais vu ; je peux déjà voir dans leurs yeux ce qu’ils attendent ». La « vengeance », c’est ce que le frère de Bashir Gemayel avait appelé de ses vœux lors des funérailles. Levy a commenté : « Les phalangistes entrent déjà dans un certain quartier – et je sais ce que signifie la vengeance pour eux, quel genre de massacre. Personne ne croira alors que nous sommes entrés pour y rétablir l’ordre, et nous en porterons la responsabilité. Par conséquent, je pense que nous risquons ici de nous retrouver dans une situation dans laquelle nous serons blâmés, et nos explications ne tiendront pas la route…. « Le communiqué de presse qui a suivi se lit comme suit :

Après l’assassinat du président élu Bachir Jemayel, l’I.D.F. a saisi des positions à Beyrouth Ouest afin de prévenir le danger de violence, d’effusion de sang et de chaos, car quelque 2 000 terroristes, équipés d’armes modernes et lourdes, sont restés à Beyrouth, en violation flagrante de l’accord d’évacuation.

Un officier de renseignement israélien présent dans le poste avancé, souhaitant obtenir des informations sur les activités des phalangistes, a ordonné deux actions distinctes pour savoir ce qui se passait. La première n’a rien donné. La seconde s’est traduite par un rapport à 20h00 depuis le toit, indiquant que l’officier de liaison des phalangistes avait appris d’un agent à l’intérieur du camp qu’il détenait 45 personnes et lui a demandé ce qu’il devait en faire. L’officier de liaison lui a répondu de faire plus ou moins « la volonté de Dieu ». L’officier de liaison a reçu ce rapport vers 20 heures de la part de la personne sur le toit qui avait entendu la conversation. Il n’a pas transmis le rapport.

À peu près au même moment ou un peu plus tôt à 19h00, le lieutenant Elul a témoigné qu’il avait entendu une conversation radio entre l’un des miliciens du camp et son commandant Hobeika dans laquelle le premier demandait ce qu’il devait faire de 50 femmes et enfants qui avaient été faits prisonniers. La réponse d’Hobeika fut : « C’est la dernière fois que tu me poses une telle question, tu sais exactement ce qu’il faut faire ». Les autres phalangistes sur le toit se sont mis à rire. Parmi les Israéliens, il y avait le général de brigade Yaron, commandant de la division, qui a demandé au lieutenant Elul, son chef de bureau, la raison de ces rires ; Elul a traduit ce que Hobeika avait dit. Yaron a ensuite eu une conversation de cinq minutes, en anglais, avec Hobeika. Ce qui a été dit est inconnu.

La Commission Kahan a déterminé que les preuves indiquaient « deux rapports différents et distincts », notant que Yaron a maintenu qu’il pensait qu’ils faisaient référence au même incident, et qu’il concernait 45 « terroristes morts ». Au même moment, à 20 heures, un troisième rapport est arrivé de l’officier de liaison G. des Phalangistes qui, en présence de nombreux officiers israéliens, dont le général Yaron, dans la salle à manger, a déclaré qu’en deux heures les Phalangistes avaient tué 300 personnes, y compris des civils. Il est revenu quelque temps plus tard et a changé le nombre de 300 à 120.

À 20h40, le général Yaron a tenu un briefing, et après celui-ci, l’officier de renseignement divisionnaire a déclaré qu’il semblait qu’aucun terroriste ne se trouvait dans le camp de Shatila, et que les phalangistes avaient deux avis sur ce qu’ils devaient faire avec les femmes, les enfants et les personnes âgées qu’ils avaient rassemblés, soit les conduire ailleurs, soit qu’on leur avait dit, comme l’officier de liaison a été entendu dire, de « faire ce que votre cœur vous dit, parce que tout vient de Dieu ». Yaron a interrompu l’officier et a dit qu’il avait vérifié et qu’il n’y avait « aucun problème », et qu’en ce qui concerne les gens, « cela ne leur fera aucun mal ». Yaron a déclaré plus tard qu’il avait été sceptique quant aux rapports et qu’il avait en tout cas dit aux phalangistes de ne pas faire de mal aux civils. A 21h00, le major Amos Gilad, a prédit lors d’une discussion au Commandement Nord que plutôt qu’un nettoyage des terroristes, ce qui aurait lieu serait un massacre, informant les commandants supérieurs que déjà entre 120 et 300 avaient été tués à ce moment-là.

A 23h00 le même soir, un rapport a été envoyé au quartier général de Tsahal à Beyrouth Est, faisant état de la mort de 300 personnes, y compris des civils. Le rapport a été transmis aux quartiers généraux de Tel Aviv et de Jérusalem, ainsi qu’au bureau du chef de bureau du directeur des renseignements militaires, le lieutenant-colonel Hevroni, à 5h30 le lendemain, où il a été vu par plus de 20 officiers supérieurs israéliens. Elle a ensuite été transmise à son domicile à 6h15. Le même matin, un historien de Tsahal a recopié une note, qui a ensuite disparu, qu’il avait trouvée dans la salle de situation du commandement nord à Aley.

Dans la nuit, les phalangistes sont entrés dans les camps de réfugiés de Sabra et Shatilla. Même s’il avait été convenu qu’ils ne feraient pas de mal aux civils, ils ont « massacré ». Ils n’ont pas opéré de manière ordonnée mais se sont dispersés. Ils ont subi des pertes, dont deux morts. Ils s’organiseront pour opérer de manière plus ordonnée – nous veillerons à ce qu’ils soient déplacés dans la zone. »

Tôt ce matin-là, entre 08h00 et 09h00, plusieurs soldats de Tsahal stationnés à proximité ont noté que des tueries étaient menées contre les réfugiés du camp. Un commandant adjoint de char à environ 180 mètres (200 yd), le lieutenant Grabowski, a vu deux phalangistes battre deux jeunes hommes, qui ont ensuite été ramenés dans le camp, après quoi des coups de feu ont retenti, et les soldats sont partis. Quelque temps plus tard, il a vu que les phalangistes avaient tué un groupe de cinq femmes et enfants. Lorsqu’il a exprimé le désir de faire un rapport, l’équipage du char a dit qu’il avait déjà entendu une communication informant le commandant du bataillon que des civils avaient été tués, et que ce dernier avait répondu : « Nous savons, ce n’est pas à notre goût, et n’intervenez pas. »

Vers 08h00, le correspondant militaire Ze’ev Schiff a reçu un tuyau d’une source de l’état-major général à Tel-Aviv selon lequel il y avait eu un massacre dans les camps. Après avoir vérifié pendant quelques heures, il n’a obtenu aucune confirmation, si ce n’est qu' »il y a quelque chose ». À 11 heures, il rencontre Mordechai Tzipori, ministre des Communications, et lui transmet ses informations. Ne parvenant pas à joindre les Renseignements militaires par téléphone, il a contacté Yitzhak Shamir à 11 h 19, lui demandant de vérifier les informations faisant état d’un massacre phalangiste dans les camps. Shamir a témoigné que, d’après ses souvenirs, la principale chose dont Tzipori lui avait fait part était que 3/4 soldats des FDI avaient été tués, sans qu’il soit fait mention d’un massacre ou d’une tuerie, par opposition à un « saccage ». Il n’a pas vérifié car il avait l’impression que l’objectif de l’information était de le tenir au courant des pertes des FDI. Lors d’une réunion avec des diplomates américains à 12h30, Shamir n’a fait aucune mention de ce que Tzipori lui a dit, disant qu’il s’attendait à entendre Ariel Sharon, le chef des renseignements militaires et l’Américain Morris Draper à propos de la situation à Beyrouth Ouest, Lors de cette réunion de midi, Sharon a insisté sur le fait que les « terroristes » devaient être « nettoyés ». Les Américains ont insisté sur l’intervention de l’armée nationale libanaise, et sur un retrait immédiat de Tsahal. Sharon a répondu :

Je ne comprends pas, que cherchez-vous ? Voulez-vous que les terroristes restent ? Avez-vous peur que quelqu’un pense que vous étiez de connivence avec nous ? Niez-le. Nous l’avons nié,

en ajoutant que rien ne se produirait, sauf peut-être la mort de quelques terroristes supplémentaires, ce qui serait un avantage pour tous. Shamir et Sharon ont finalement accepté un retrait progressif, à la fin de Rosh Hashana, deux jours plus tard. Draper les avertit alors:

Sûr, l’I.D.F. va rester à Beyrouth Ouest et ils laisseront les Libanais aller tuer les Palestiniens dans les camps.

Sharon répond:

Alors, nous les tuerons. On ne les laissera pas là-bas. Vous n’allez pas les sauver. Vous n’allez pas sauver ces groupes du terrorisme international… . Si vous ne voulez pas que les Libanais les tuent, nous les tuerons.

Dans l’après-midi, avant 16 heures, le lieutenant Grabowski a demandé à un de ses hommes de demander à un phalangiste pourquoi ils tuaient des civils, et on lui a répondu que les femmes enceintes donneront naissance à des enfants qui deviendront des terroristes.

A l’aéroport de Beyrouth, à 16h00, le journaliste Ron Ben-Yishai a entendu plusieurs officiers israéliens dire qu’ils avaient entendu dire que des meurtres avaient eu lieu dans les camps. A 11h30, il téléphone à Ariel Sharon pour lui faire part de ces rumeurs et Sharon lui répond qu’il en a déjà entendu parler par le chef d’état-major.A 16h00, lors d’une réunion avec l’état-major phalangiste, en présence du Mossad, le chef d’état-major israélien déclare avoir une « impression positive » de leur comportement sur le terrain et de ce que rapportent les phalangistes, et leur demande de continuer à « nettoyer les camps vides » jusqu’à 5h00 du matin, après quoi ils doivent renoncer en raison de la pression américaine. Selon l’enquête de la Commission Kahan, aucun des deux camps n’a explicitement mentionné à l’autre les rapports ou les rumeurs sur la façon dont les civils étaient traités dans le camp. Entre 18h00 et 20h00, le personnel du ministère israélien des Affaires étrangères à Beyrouth et en Israël a commencé à recevoir divers rapports de représentants américains indiquant que les phalangistes avaient été observés dans les camps et que leur présence était susceptible de causer des problèmes. De retour en Israël, le chef d’état-major s’est entretenu avec Ariel Sharon entre 20 heures et 21 heures :00, et selon Sharon, l’a informé que les « Libanais étaient allés trop loin », et que « les chrétiens avaient fait plus de mal que prévu à la population civile. » C’était, selon son témoignage, la première fois qu’il entendait parler d’irrégularités phalangistes dans les camps. Le chef d’état-major a nié qu’ils avaient discuté de meurtres « au-delà de ce à quoi on s’attendait ».

Plus tard dans l’après-midi, une réunion a eu lieu entre le chef d’état-major israélien et l’état-major phalangiste.

Le matin du vendredi 17 septembre, l’armée israélienne qui encerclait Sabra et Chatila a ordonné aux Phalanges de cesser leur opération, préoccupée par les rapports faisant état d’un massacre.

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