Sainte Alliance

Le terme Sainte Alliance désigne plusieurs phénomènes connexes. Au sens le plus étroit, la Sainte-Alliance était un traité signé à Paris le 26 septembre 1815 par les empereurs François Ier d’Autriche (également gouverné comme François II, empereur du Saint Empire romain germanique), Alexandre Ier de Russie et le roi de Prusse Frédéric-Guillaume III « au nom de la Très Sainte et Indivisible Trinité. » Plus largement, le traité représentait une tentative de son auteur, Alexandre Ier, d’établir de nouveaux principes pour la politique internationale et intérieure en Europe après les guerres napoléoniennes. Au début des années 1820, l’expression en vint à désigner les politiques réactionnaires menées par les trois empires « orientaux » contre les menaces de révolution sociale et nationale qui persistaient après l’ère napoléonienne. Malgré des conflits occasionnels entre les alliés, cette coalition conservatrice a perduré en tant que rempart de l’ordre international jusqu’en 1854, pendant la guerre de Crimée.

La « Sainte Alliance des souverains d’Autriche, de Prusse et de Russie » s’écartait des conventions en mettant l’accent sur une vision globale des relations internationales plutôt que sur des obligations mutuelles concrètes entre les signataires. Le paragraphe d’ouverture déclare que les trois souverains ont reconnu la « nécessité » de fonder leurs relations « sur les vérités sublimes qu’enseigne la Sainte Religion de notre Sauveur ». Ils étaient parvenus à cette reconnaissance au cours des trois années précédentes, lorsque la « Divine Providence » avait comblé de bienfaits « les États qui placent leur confiance et leur espoir en elle seule ». Le traité avait pour seul objet d’annoncer que les alliés s’inspireraient des « préceptes de justice, de charité chrétienne et de paix » du christianisme dans leur administration intérieure et leurs relations avec les autres États. Comme l’indique le texte, le christianisme doit s’appliquer non seulement aux « préoccupations privées », mais doit également exercer « une influence immédiate sur les conseils des princes », seul moyen de consolider et d’améliorer les « institutions humaines ».

Avec ces stipulations, le traité énonce ensuite trois articles. Le premier stipule que, suivant les « saintes Écritures », les trois souverains seront unis par « une vraie et indissoluble fraternité », se considérant comme des compatriotes, obligés de s’entraider « en toutes occasions et en tous lieux ». Ils s’engagent également à agir comme des « pères de famille » vis-à-vis de leurs sujets et de leurs armées, en les conduisant dans un « esprit de fraternité », pour défendre « la Religion, la Paix et la Justice. » L’article II déclare que le seul principe régissant les relations entre les gouvernements et leurs sujets « sera celui du service réciproque. » Tous les souverains et les sujets se considèrent comme « membres d’une seule et même nation chrétienne ». Ainsi, les monarques se considéreraient comme « simplement délégués par la Providence » pour gouverner « trois branches de l’unique famille », puisque le monde chrétien n’avait « aucun autre Souverain que Celui à qui seul appartient réellement le pouvoir ». En outre, les trois souverains conseilleraient à leurs peuples de se fortifier dans les principes et les devoirs chrétiens. Le troisième article invitait toutes les puissances reconnaissant les « principes sacrés qui ont dicté le présent Acte » à se joindre à « cette Sainte Alliance »

Le traité trouvait son origine dans les « grands événements qui ont marqué le cours des trois dernières années en Europe », une référence à une période au cours de laquelle Alexandre avait traversé une intense crise spirituelle et politique qui avait révolutionné la compréhension de la politique et de l’histoire du souverain russe. L’invasion de la Russie par Napoléon en juin 1812 et l’occupation de Moscou cet automne-là avaient confronté l’empereur russe à une menace mortelle pour son trône. Alexandre défia les attentes de ses ennemis en refusant de parlementer avec les représentants de Napoléon. Le 19 octobre, les événements en Espagne obligèrent Napoléon et ses forces à évacuer Moscou et à retracer leur itinéraire d’invasion, traversant la frontière occidentale de la Russie à la mi-décembre, fortement affaiblis par les rigueurs de l’hiver, les détachements de partisans et l’armée russe suivante, dirigée par le prince Mikhail Kutuzov et Alexandre. Après avoir chassé l’usurpateur de Russie, Alexandre défie ses conseillers et ses alliés en se lançant dans une campagne totale pour détrôner Napoléon. À la tête d’une alliance qui s’élargit, Alexandre libère les terres allemandes en 1813 et conduit une armée internationale à Paris au début du mois d’avril 1814. Lorsque les alliés victorieux – la Russie, la Grande-Bretagne, l’Autriche et la Prusse – se réunissent au Congrès de Vienne à l’automne 1814, le pouvoir et l’influence d’Alexandre ont atteint leur apogée.

Le revirement de fortune d’Alexandre renforce un changement tout aussi profond de ses opinions religieuses. Auparavant libre penseur des Lumières, Alexandre avait trouvé une consolation dans la lecture de la Bible pendant l’invasion napoléonienne, à l’incitation de son ami le prince Alexandre Golitsyn. Golitsyn et d’autres personnes de la cour, dont Roxandra Sturdza, ne tardèrent pas à faire découvrir à Alexandre une veine de mysticisme chrétien en plein essor, qui s’était développée dans les Allemagnes parmi les catholiques et les protestants piétistes. Des penseurs tels que Franz von Baader, Jakob Böhme et Johann Jung-Stilling (à qui Alexandre rendit visite en juillet 1814) voyaient dans les bouleversements de l’époque actuelle le précurseur d’une nouvelle ère de lumière et d’harmonie sous la direction de Dieu. Ce nouveau régime remplacerait l’ancien ordre décadent détruit par la Révolution française et les guerres napoléoniennes. Lorsqu’il arriva à Vienne pour la conférence de paix, Alexandre semblait croire que Dieu l’avait choisi pour être l’instrument de la création d’un nouvel ordre des choses. Beaucoup attribuent cette opinion à la baronne Barbara Juliane von Krüdener, une luthérienne « éveillée » de Livonie qui figurait très visiblement dans l’entourage d’Alexandre.

La Sainte-Alliance incarnait la vision d’Alexandre du nouvel ordre international. Sa promulgation faisait suite aux délibérations du congrès de Vienne, où les efforts d’Alexandre pour remodeler les arrangements territoriaux de l’Europe – notamment en ce qui concerne la Pologne et l’Allemagne – s’étaient heurtés à une forte résistance de la part de Lord Castlereagh, l’ambassadeur britannique, du chancelier autrichien Clemens von Metternich et du représentant français Charles Maurice de Talleyrand. Le langage exalté du traité a inspiré la perplexité de Castlereagh, qui l’a qualifié de « mysticisme sublime et de non-sens », tandis que Metternich l’a rejeté comme « un rien qui sonne fort ». Ce dernier, cependant, ayant besoin du soutien d’Alexandre dans d’autres domaines, accepte de signer le document aux côtés de la Prusse. Le prince régent de Grande-Bretagne refusa poliment d’y adhérer, tandis que le sultan ottoman (souverain d’une population chrétienne considérable dans les Balkans) et le pape ne furent pas invités à y prendre part. Les contemporains et les historiens ultérieurs ont vu dans l’Alliance une couverture pour les desseins russes de domination européenne, pourtant la propre correspondance d’Alexandre avec ses amis et ses conseillers suggère qu’il prenait sa mission transformatrice très au sérieux.

La vision originale d’Alexandre pour la Sainte-Alliance est devenue plus concrète après le congrès de Vienne, d’autant plus que l’agitation continuait à remettre en cause le règlement post-napoléonien en Italie, en Espagne et en Europe centrale. En particulier, Alexandre se montre de plus en plus préoccupé par le maintien de l’ordre intérieur, au sein des États de l’après-Vienne (souvent des monarchies restaurées), en plus de promouvoir l’harmonie entre eux. Ces points forts se renforcent au cours d’une série de congrès internationaux entre les principales puissances européennes : à Aix-la-Chapelle en 1818, à Troppau à la fin de 1820 et à Laibach au début de 1821. À Aix, Alexandre suscite l’opposition des Britanniques et des Autrichiens en exhortant les Grandes Puissances alliées victorieuses, désormais rejointes par la France restauratrice, à établir des conditions concrètes pour une action conjointe visant à garantir le nouveau statu quo. Les Britanniques s’opposent au principe de l’intervention, tandis que Metternich souhaite éviter la réapparition des troupes russes en Europe, après leur récente évacuation de la France. À la fin de l’année 1820, cependant, Metternich se rapproche de la position interventionniste d’Alexandre pour le maintien de l’ordre en Europe, alors que des troubles éclatent sur le continent, notamment une agitation nationaliste en Allemagne et en Italie, ainsi que des rébellions en Espagne, au Portugal et en Grèce. Alexandre lui-même se rapproche du légitimisme de Metternich à cette époque, à la suite de la mutinerie d’octobre de son régiment bien-aimé de Semyonovsky à Saint-Pétersbourg, qu’il voit comme le signe d’un esprit de révolution ravivé qu’il avait conquis seulement six ans plus tôt.

À Troppau et Laibach, la Sainte-Alliance prend une nouvelle forme en tant que coalition comprenant la Russie, l’Autriche et la Prusse – souvent contrées par la Grande-Bretagne et la France – unies dans leur revendication que la défense du « principe monarchique » justifie une intervention contre toute rébellion. L’idéal d’Alexandre d’un nouvel ordre international était ainsi devenu une arme réactionnaire contre tout désordre appréhendé, les troupes autrichiennes réprimant la rébellion en Italie tandis que les alliés imposaient un régime conservateur aux États allemands. Cette nouvelle orientation est renforcée en 1825 lorsqu’Alexandre est remplacé par Nicolas Ier, qui partage la haine du désordre de son frère, sinon son mysticisme. Jusque dans les années 1850, les alliés agissent chaque fois qu’ils le peuvent contre les menaces qui pèsent sur le statu quo politique : contre la révolution en Pologne en 1830-1831, contre le constitutionnalisme dans les Germanies avant 1848, et contre la Hongrie révolutionnaire en 1849.

Néanmoins, l’accord idéologique général masque des tensions plus profondes et plus pratiques qui finissent par briser l’alliance dans les années 1850. La rivalité austro-prussienne pour la domination des terres allemandes est devenue particulièrement aiguë après les révolutions de 1848, tandis que l’agitation chronique dans les Balkans ottomans a conduit les Autrichiens à craindre la Russie dans cette arène. Ces dernières préoccupations obligèrent le gouvernement autrichien à soutenir – avec l’aide de la Prusse – la Grande-Bretagne, la France et l’Empire ottoman dans la guerre de Crimée. Ce changement fondamental dans la politique autrichienne mit fin à la Sainte-Alliance et inaugura une rivalité austro-russe durable qui culmina soixante ans plus tard avec le déclenchement de la Première Guerre mondiale.

Voir aussiAutriche-Hongrie ; Congrès de Vienne ; Conservatisme ; Guerre de Crimée ; Guerres révolutionnaires françaises et guerres napoléoniennes ; Prusse ; Russie.

bibliographie

Sources primaires

Hertslet, Edward, ed. « Texte de la Sainte-Alliance. » Dans La carte de l’Europe par traité : Changements politiques et territoriaux depuis la paix générale de 1814. Londres, 1875.

Sources secondaires

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Martin, Alexandre. Romantiques, réformateurs, réactionnaires : Pensée et politique conservatrices russes sous le règne d’Alexandre Ier. DeKalb, Ill., 1997.

Rich, Norman. La diplomatie des grandes puissances, 1814-1914. New York, 1992.

Schroeder, Paul W. The Transformation of European Politics, 1763-1848. Oxford, R.-U., 1994.

Zorin, Andrei. « L’étoile de l’Orient : La Sainte Alliance et le mysticisme européen ». Kritika (printemps 2003) : 314-342.

David McDonald

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