Réflexion sur les phénomènes entoptiques

Souvent, lorsque nos patients sont assis derrière la lampe à fente pendant un examen de routine, nous les entendons s’écrier : « Wow, je peux voir le reflet de mes vaisseaux sanguins ! ». L’image qui leur apparaît est un exemple de phénomène entoptique (PE), une expression dérivée des mots grecs « intérieur » et « lumière » ou « vision », qui décrit la capacité d’un individu à percevoir des substances endogènes à son propre œil, telles que des vaisseaux rétiniens ou des opacités vitréennes.1,2 La présence ou l’absence de différents phénomènes entoptiques peut être le signe d’anomalies postérieures et antérieures, et même de conditions de réfraction et de convergence, ce qui en fait des marqueurs potentiels de la présence et de la progression de la maladie. Ce mois-ci, évaluons quelle importance, le cas échéant, ces réflexions revêtent pour nous en tant que praticiens des soins oculaires.

Histoire

Les phénomènes entoptiques ont été décrits pour la première fois par Johann Purkinje au début des années 1800, pour décrire la rémanence fugace et noire de la vascularisation rétinienne, appelée plus tard « arbre de Purkinje ».1 Ce phénomène se produit en raison de l’emplacement et du modèle de l' »arbre » vasculaire rétinien ramifié devant la couche des photorécepteurs, projetant une ombre qui n’est induite que lorsque le segment antérieur de l’œil est éclairé.1 Elle diffère d’une image réelle, notamment en ce qu’elle ne suit pas les mouvements de l’œil ou de la rétine en raison de la relation directe et constante avec la couche des photorécepteurs.En fait, c’est cette observation qui a conduit à la conclusion qu’il doit exister un mécanisme rapide de création et d’effacement des images comme fondement du traitement visuel normal.2

Ici, le phénomène entoptique est perçu comme un flotteur vitreux secondaire à un décollement postérieur du vitré.

Applications de dépistage

À la fin des années 1990, l’application de cette image rémanente a été utilisée en clinique pour mesurer grossièrement l’acuité potentielle, car l’absence de perception de leurs vaisseaux par les patients est fortement corrélée à une mauvaise fonction maculaire et à une acuité nettement réduite.1 Elle était également utile dans les cas où il existait d’importantes opacités médianes, où – si l’éclairage d’un œil fermé induisait des ombres – elle était corrélée à une bonne fonction rétinienne et maculaire.1,2
Périmétrie entoptique au laser à balayage. Des études plus récentes reconnaissent cette modalité comme la méthode de mesure des phénomènes entoptiques, car elle peut offrir des détails rétiniens significatifs en ce qui concerne le détail des capillaires fovéaux, la taille de la zone avasculaire fovéale (FAZ) et le flux sanguin maculaire, avec une plus grande précision que les méthodes plus invasives, telles que l’angiographie à la fluorescéine3,4.

La périmétrie entoptique au laser à balayage présente un intérêt particulier pour évaluer la rétinopathie diabétique, une cause majeure de cécité où la détection précoce est un facteur clé de la préservation de la vision.3 Des études suggèrent qu’il s’agit d’un outil de dépistage efficace, non invasif et portable pour détecter le dysfonctionnement rétinien dans la rétinopathie diabétique, permettant aux praticiens d’identifier les patients asymptomatiques avant l’apparition d’une perte de vision centrale.3,5 Bien que cette méthode ne remplace pas un examen ou une photo de la rétine, elle offre la possibilité aux patients de s’entraîner et de se dépister eux-mêmes pour identifier les changements précoces de nombreuses maladies de la rétine.5
Par exemple, dans une étude qui a utilisé la périmétrie entoptique au laser à balayage pour l’évaluation de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), la période d’entraînement des patients n’a pas pris plus de deux minutes et, à l’aide d’un écran d’ordinateur et d’un stylo numérique, ces patients ont pu visualiser divers stimuli et dessiner les zones de différence qualitative directement sur leur écran. Cette méthode s’est avérée très efficace dans ce cas également, pour détecter les stades très précoces de la DMLA, à un moment où les patients ne présentent généralement aucun symptôme de la maladie.6

PE significatifs sur le plan clinique

Le phénomène pathologique le plus couramment observé est l’ombre projetée par les flotteurs vitréens, apparaissant soit sous la forme d’une tache noire, dans le cas d’un décollement postérieur du vitré avec anneau de Weiss, soit sous la forme d’ellipses incolores que l’on pense être dues à des restes embryonnaires ou à des protéines dans le vitré. Ces constituants projettent une ombre sur la rétine et suscitent la présentation symptomatique.
Les stries fulgurantes de Moore. Il s’agit également d’une photopsie fréquemment rencontrée, décrite comme l’éclair de lumière que de nombreux patients ressentent dans les cas de décollement postérieur anormal du vitré, où la liquéfaction du vitré précède l’affaiblissement des adhésions vitréo-rétiniennes, ce qui entraîne des cas de
traction rétinienne.7
Phénomènes entoptiques à arc bleu. Ils ont été observés pour la première fois par le Dr Purkinje après avoir vu des braises de feu dans l’obscurité, et consistent en des arcs bleus transitoires et variables. Les chercheurs pensent qu’ils apparaissent en réponse au stimulus des systèmes de longueurs d’onde bleu-jaune et qu’ils suivent l’anatomie distincte de la couche de fibres nerveuses ; il est possible d’utiliser ce phénomène pour aider les praticiens à diagnostiquer et à surveiller les stades très précoces du glaucome.7 D’autres théories supposent que les leucocytes, qui se déplacent dans les capillaires rétiniens d’une personne, sont à l’origine de ce phénomène.8 La PE de l’arc bleu est inversement corrélée au degré d’amblyopie, les études concluant que sa perte varie en fonction de la gravité de l’affection.5
Nos patients nous signalent souvent des troubles visuels subjectifs, de cause normale ou anormale. Une anamnèse approfondie peut révéler une pathologie oculaire sous-jacente. Dans plusieurs cas, ces phénomènes visuels courants ont le potentiel de servir de base à la mise en œuvre future de techniques de dépistage et de surveillance des maladies oculaires.

1. Mark HH. La vue entoptique des vaisseaux rétiniens. Acta Ophthalmologica. 2014;92(3):e237-40.
2. Cappola D, Purves D. La disparition extraordinaire des images entoptiques. Proc Natl Acad Sci USA. 1996;93(4):8001-4.
3. El-Bradey M, Plummer DJ, Uwe-Bartsch DU, Freeman WR. Scanning laser entoptic perimetry for the detection of visual defects associated with diabetic retinopathy. Br J Ophthalmol. 2006;90(1):17-9.
4 Wang Q, Kocaoglu O, Cense B, et al. Imaging retinal capillaries using ultrahigh-resolution optical coherence tomography and adaptive optics. Invest Opthalmol Vis Sci. 2011;52(9):6292-9.
5. Applegate R, Bradley A, van Heuven W, et al. Évaluation entoptique de la rétinopathie diabétique. Invest Opthalmol Vis Sci. 1997;38(5):783-91.
6. Freeman WR, El-Bradey M, Plummer DJ. Périmétrie entoptique au laser à balayage pour la détection de la dégénérescence maculaire liée à l’âge. Arch Ophthalmol. 2004;122(11):1647-51.
7. Pasquale LR, Brusie S. Le phénomène entoptique de l’arc bleu dans le glaucome (une thèse ophtalmologique américaine). Trans Am Ophthalmol Soc. 2013;111:46-55.
8. Grunwald J, Sinclair S, Crandall A, Riva C. Le phénomène entoptique du champ bleu dans l’amblyopie. Ophtalmologie. 1981 Oct;88(10):1054-7.

Leave a Reply