L' »Anarchitecture » de Gordon Matta-Clark peut-elle sauver New York du fléau de la gentrification ?

Rien ne fonctionnait dans le New York des années 1970. L’économie était stagnante. Les bâtiments vieillissants se désintégraient. Des ponts négligés se sont effondrés. Les gens cherchaient à s’échapper.

Gordon Matta-Clark et Gerry Hovagimyan travaillant sur Conical Intersect, 1975. Photo : Harry Gruyaert. ©… 2017 Succession de Gordon Matta-Clark / Artists Rights Society (ARS), New York et David Zwirner, New York.

Harry Gruyaert

Si ces circonstances n’étaient guère prometteuses pour le jeune architecte moyen, elles étaient parfaites pour Gordon Matta-Clark. Formé à l’architecture à l’université Cornell, Matta-Clark en savait long sur la construction, et tout ce qu’il savait le rendait méfiant à l’égard de sa profession. Il reprochait à la rapacité du capitalisme des gratte-ciel de déshumaniser la société, et considérait l’ingénierie sociale à taille unique du modernisme comme un faux antidote. Matta-Clark n’avait aucune envie de construire. Au lieu de cela, il se désignait comme un anarchitecte et cherchait littéralement à déconstruire l’infrastructure de la ville à la recherche d’un avenir meilleur.

Quatre décennies plus tard – et trente-neuf ans après la mort prématurée de Matta-Clark à l’âge de 35 ans – son anarchitecture est exposée au Bronx Museum of the Arts dans une rétrospective historique paradoxalement très actuelle : Bien que les circonstances actuelles de New York soient à l’opposé de celles des années 70, elles sont causées par les mêmes forces cycliques. La question la plus urgente posée par cette exposition est donc de savoir comment l’anarchitecture peut être utilisée pour engager de manière critique New York – et les villes en plein essor de Londres à San Francisco – dans cette période actuelle de gentrification déshumanisante.

Gordon Matta-Clark. Planchers du Bronx, 1973. Tirage à la gélatine argentique. 11 x 13 7/8 pouces. GMCT2362A,B

Gordon Matta-Clark

Souvent en travaillant de manière illicite, Matta-Clark a parcouru les ghettos des centres-villes et les friches industrielles avec une barre à mine et un chalumeau. En retirant des sections de plancher des immeubles et en découpant les murs des entrepôts, il les transformait en sculptures spectaculaires qui mettaient en évidence ce que les New-Yorkais endurcis tentaient d’ignorer. Ses interventions urbaines n’étaient généralement visibles que sur des photographies, ou représentées par des sections de bâtiments transplantées dans des galeries d’art. Elles n’en sont pas moins devenues des icônes : une sorte de sténographie architecturale de la négligence urbaine, ainsi qu’une suggestion sur la façon dont la planification centrale pourrait être remplacée par l’improvisation locale. Quand Matta-Clark disait qu’il était un anarchitecte, il le pensait vraiment. Il cherchait à renverser l’infrastructure de l’argent et du pouvoir par une alternative anarchique à l’architecture. Il voulait que tout le monde devienne un anarchitecte.

Il va sans dire qu’il n’a pas réussi.

Mais le fait que nous nous penchions encore sur le travail de Matta-Clark indique que l’anarchitecture reste résonnante. L’anarchitecture est clairement une influence sur la pratique sociale dans l’art contemporain et l’esthétique dite relationnelle. Un héritage plus direct pourrait être trouvé dans l’art de la rue (comme Matta-Clark l’a préfiguré en documentant les premiers graffitis), parce que la peinture à la bombe a le potentiel de révéler des façons alternatives de voir une ville.

L’art de la rue est particulièrement pertinent parce que la gentrification est un processus d’élimination, pas de décomposition. Sans bâtiments abandonnés à déconstruire, les Matta-Clarks de 2017 ont besoin d’une manière ou d’une autre de révéler la disparition des personnes qui ne peuvent plus se permettre de vivre à New York. Le street art peut laisser une trace visible. C’est une forme d’architecture in absentia, une ombre qui passe, un futur possible.

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