Index clinique de la neutropénie fébrile stable (CISNE)

Interview fournie par le Dr Carmona-Bayonas et le Dr Jiménez Fonseca.

Pourquoi avez-vous développé le CISNE ? Y a-t-il une expérience clinique particulière ou une rencontre avec un patient qui vous a inspiré la création de cet outil pour les cliniciens ?

CISNE signifie « cygne » en espagnol, et en fait, la métaphore de la théorie du cygne noir de Nassim Nicholas Taleb s’applique à ce scénario clinique, car les complications chez les patients présentant une neutropénie fébrile apparemment stable ont un impact élevé. Ces complications sont difficiles à prévoir par l’inspection clinique de routine en raison de l’absence fréquente de symptômes et/ou de signes. Lorsqu’elles se sont déjà produites, on peut penser rétrospectivement qu’elles auraient pu être évitées avec une classification appropriée. Il s’agit donc d’un argument philosophique inspirant.

L’idée du score CISNE est née dans le service des urgences d’un hôpital à fort volume. Nous avons émis l’hypothèse que tous les cas de neutropénie fébrile n’avaient pas le même degré d’incertitude pronostique. Les patients mourants, ou ceux atteints d’infections très graves, n’avaient pas vraiment besoin d’un outil de stratification pour fournir des informations supplémentaires sur un tableau clinique déjà suffisamment expressif pour guider l’admission.

Cependant, en raison de l’immunosuppression, le corps humain est temporairement incapable de générer des réactions inflammatoires. Par conséquent, dans les premiers stades des infections neutropéniques, certains patients peuvent présenter un état de santé trompeur. L’objectif du score CISNE est de fournir un plus grand degré de certitude quant à la réalité ou non de la stabilité apparente, ce qui peut empêcher les sorties précoces de l’hôpital chez les patients à risque et peut aider le médecin à prendre des décisions, ce que les autres modèles ne font pas.

Quelles perles, pièges et/ou conseils avez-vous pour les utilisateurs du CISNE ? Connaissez-vous des cas où il a été appliqué, interprété ou utilisé de manière inappropriée ?

La mauvaise utilisation du CISNE devrait entraîner des erreurs de prise de décision, et nous avons détecté quelques exemples de ce type. Premièrement, les patients ne doivent pas être évalués uniquement à l’aide d’un score numérique – il est essentiel de tenir pleinement compte des principes généraux des syndromes fébriles chez les patients immunodéprimés. C’est l’ensemble du tableau qui doit être abordé, et pas seulement un chiffre. Cela semble évident, mais lorsqu’on examine la littérature, on a fortement tendance à croire que les décisions sont prises uniquement en fonction des chiffres. En ce sens, CISNE est sûr car il est basé sur des critères à faible risque qui sont préétablis dans la littérature (par exemple, le guide clinique de l’ASCO sur la neutropénie fébrile, Flowers 2013). Contrairement aux autres scores, le CISNE renforce la sécurité de ces appréciations, en fournissant des informations supplémentaires, mais ne les contredit pas, car il a été développé spécifiquement pour les patients considérés comme apparemment stables par d’autres méthodes, notamment les signes vitaux et l’examen physique.

Le deuxième problème que nous avons observé est que certains chercheurs sont tentés d’appliquer également le CISNE au groupe des patients instables, mais le modèle n’a pas été conçu pour eux. En fait, il est inutile d’utiliser CISNE pour évaluer le pronostic des patients immunodéprimés dont nous savons déjà qu’ils sont à haut risque avant d’appliquer le modèle. Cela n’a rien à voir avec la philosophie de CISNE, et de toute évidence, le modèle ne donnera pas les bons résultats après une question mal formulée.

Enfin, le but de CISNE est de retarder la sortie prématurée des patients présentant un risque potentiel jusqu’à ce que la stabilité apparente soit confirmée comme réelle. Au lieu de cela, certains auteurs essaient de l’utiliser pour sélectionner directement les sujets à faible risque pour des réductions du niveau de traitement de soutien, ce qui n’est pas l’objectif du calculateur.

Quelles recommandations avez-vous pour les médecins une fois qu’ils ont appliqué le CISNE ? Y a-t-il des ajustements ou des mises à jour que vous apporteriez au score en fonction de nouvelles données ou de changements de pratique ?

Premièrement, gardez à l’esprit que la neutropénie fébrile implique deux problèmes distincts. Vous devez avoir une idée du risque de complications graves inattendues, mais d’un autre côté, vous devez également prendre en compte la probabilité de souches d’agents pathogènes résistants ou inhabituels. Ce sont deux facteurs absolument différents, mais ils doivent être intégrés en même temps dans le processus de décision, car il y a un risque de transformer un individu à faible risque en un patient à haut risque suite à l’absence de catégorisation de l’un ou l’autre.

Deuxièmement, je recommande que le point de départ soit les principes généraux de l’évaluation du syndrome fébrile du patient immunodéprimé aux urgences. Pour moi, le meilleur guide est le guide de pratique clinique de l’ASCO (Flowers 2013), qui comporte un tableau concis avec tous les critères cliniques permettant d’envisager systématiquement si un patient est à haut ou à bas risque.

Troisièmement, le CISNE peut être utilisé comme une aide clinique, mais pas comme un outil unique de prise de décision. Il faut également noter que le calculateur CISNE n’a pas été conçu pour sélectionner les patients pour une prise en charge ambulatoire, mais plutôt pour retarder la sortie précoce des patients douteux jusqu’à ce que la stabilité apparente soit confirmée comme réelle.

Comment utilisez-vous le CISNE dans votre propre pratique clinique ? Pouvez-vous donner un exemple de scénario dans lequel vous l’utilisez ?

Dans ma pratique de routine, j’utilise le score CISNE lorsque, grâce à d’autres critères, je suis arrivé à la conclusion que le patient peut être un candidat pour un certain type de réduction du traitement de soutien. Dans ce cas, j’utilise le critère de risque élevé de CISNE comme outil de dépistage, pour retarder cette décision de sortie précoce jusqu’à ce que j’aie vérifié la négativité des hémocultures et que je me sois assuré par une observation hospitalière pendant une période raisonnable que la stabilité apparente n’est pas fictive. Au contraire, je ne l’utiliserais jamais comme critère exclusif de prise de décision, ou chez des patients qui, pour d’autres raisons, ne seraient pas candidats à une réduction du soutien.

Que pensez-vous de l’utilisation du CISNE par rapport à l’indice de risque MASCC pour la neutropénie fébrile ?

Mon opinion personnelle est que les gens évaluent le modèle MASCC et le laissent écrit dans le dossier médical, mais les décisions ne sont presque jamais prises sur la base de sa prédiction. Le score MASCC a été validé à de multiples reprises, et est recommandé par la plupart des sociétés scientifiques internationales. Cependant, il est pratiquement inutile pour fournir des informations supplémentaires sur ces patients car il n’a pas été conçu pour être utile. Parmi ses limites reconnues, le prédicteur le plus lourd est l’hypotension, qui coïncide exactement avec le critère d’évaluation le plus fréquent (également l’hypotension), ce qui rend le résultat de la prédiction inutile (la variable se prédit curieusement elle-même). Si l’on élimine les sujets hypotendus, la sensibilité tombe à environ 30%.

Comme si cela ne suffisait pas, deux autres prédicteurs (tumeur solide et épisode ambulatoire) ne sont pas utiles pour les oncologues médicaux qui évaluent les sujets aux urgences, car les variables sont toujours présentes. L’échantillon de la MASCC n’est pas vraiment représentatif des patients atteints de tumeurs solides car il comprend une très forte proportion de patients ayant subi une greffe de moelle osseuse ou une leucémie aiguë en traitement d’induction. Il ne sert pas non plus à sélectionner les candidats à la prise en charge ambulatoire car beaucoup d’entre eux présentaient dès le départ des conditions cliniques très graves, de sorte qu’ils n’auraient jamais été candidats à la stratégie thérapeutique que le modèle revendique finalement.

La variable « charge de morbidité » est subjective ; entre un patient de 59 et 60 ans, on ne pense pas qu’il y ait de réelle différence, etc. Avec ces prémisses, cela n’a même pas de sens de considérer les valeurs prédictives de ce modèle. Au lieu de cela, le CISNE essaie de fournir des informations utiles qui ne peuvent pas réellement être obtenues d’une autre manière à l’heure actuelle, et inclut des variables qui peuvent avoir du sens, comme l’hyperglycémie de stress, un biomarqueur de mauvais résultats cliniques connu depuis l’époque de Claude Bernard.

Les pourcentages de risque de complications cités dans l’étude FINITE sont légèrement différents de ceux qui figurent sur le calculateur officiel du CISNE. D’où proviennent ces données ?

La méthode suivie pour la construction du calculateur officiel CISNE est expliquée dans un article du British Journal of Cancer publié après la publication dans le Journal of Clinical Oncology, avec les données de l’étude FINITE originale.

Basiquement, les petites différences sont dues au fait que pour construire le nomogramme, les coefficients des modèles ont été mis à jour et réentraînés, en tenant compte de l’ensemble de la série FINITE (n = 1 133). Par la suite, les résultats ont été validés par le Dr Ignacio Matos dans un registre externe du Complejo Asistencial Universitario de Salamanca. Ce modèle fournit une probabilité continue de risque. Cependant, les prédictions sont fondamentalement les mêmes. Une probabilité de complications graves supérieure à 12-13% dans le calculateur officiel est équivalente au critère de risque élevé simplifié sur MDCalc, et la prise de décision devrait être équivalente.

Autres recherches dans le pipeline qui vous enthousiasment particulièrement ?

À l’ESMO 2017, nous avons appris qu’un groupe britannique tente d’évaluer un algorithme basé sur des critères d’éligibilité pragmatiques, qui s’appuie uniquement sur le score CISNE comme aide clinique à la décision. Nous sommes d’accord avec ce critère et pensons que, comme pour tout autre outil, le degré de certitude dépendra des autres groupes indépendants qui apporteront progressivement leur expérience en la matière. Dans tous les cas, toutes les expériences sont intéressantes si l’on peut en tirer des enseignements, et elles seront les bienvenues.

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