Hiérophanie

Hiérophanie (du grec hiero-,  » sacré « , et phainein,  » montrer « ) est un terme désignant la manifestation du sacré. Ce terme n’implique aucune autre spécification. C’est là que réside son avantage : il se réfère à toute manifestation du sacré dans n’importe quel objet à travers l’histoire. Que le sacré apparaisse dans une pierre, un arbre ou un être humain incarné, une hiérophanie désigne le même acte : Une réalité d’un ordre entièrement différent de celles de ce monde se manifeste dans un objet qui fait partie de la sphère naturelle ou profane.

Le sacré se manifeste comme une puissance ou une force bien différente des forces de la nature. Un arbre sacré, par exemple, n’est pas adoré pour être un arbre. Une pierre sacrée n’est pas non plus adorée, en soi, pour ses propriétés naturelles de pierre. Ces objets deviennent le centre de la vénération religieuse parce qu’ils sont des hiérophanies, révélant quelque chose qui n’est plus botanique ou géologique, mais « tout autre ».

Formes de la hiérophanie

Les formes des hiérophanies varient d’une culture à l’autre. La question est compliquée car, au cours de l’histoire, les cultures ont reconnu des hiérophanies partout dans la vie psychologique, économique, spirituelle et sociale. Il n’y a guère d’objet, d’action, de fonction psychologique, d’espèce d’être ou même de divertissement qui ne soit pas devenu une hiérophanie à un moment donné. Tout ce avec quoi les humains entrent en contact peut être transformé en hiérophanie. Les instruments de musique, les formes architecturales, les bêtes de somme et les véhicules de transport ont tous été des objets sacrés. Dans les bonnes circonstances, tout objet matériel quel qu’il soit peut devenir une hiérophanie.

L’apparition du sacré dans une hiérophanie n’élimine cependant pas son existence profane. Dans chaque contexte religieux, certains objets de la classe des choses qui véhiculent le sacré (par exemple, la pierre, les arbres, les êtres humains) restent toujours profanes. Aucune culture ne contient dans son histoire toutes les hiérophanies possibles. En d’autres termes, une hiérophanie implique toujours une mise à part. Toutes les pierres ne sont pas considérées comme sacrées dans une culture ; seules certaines sont vénérées, ou une, parce que leurs propriétés en font des véhicules appropriés du sacré. Une hiérophanie sépare la chose qui manifeste le sacré de tout ce qui l’entoure, de tout ce qui reste profane.

Le sacré apparaît sous une forme cosmique aussi bien que dans la vie imaginative des êtres humains. Les hiérophanies cosmiques couvrent le spectre des structures cosmiques. Les dieux suprêmes du ciel, comme Num, la divinité du ciel des Samoyèdes, ou Anu, le shar shame (« roi du ciel ») babylonien, reflètent ou partagent le caractère sacré attribué au ciel. Il en est de même des dieux souverains du ciel qui manifestent leur puissance par l’orage, le tonnerre et la foudre, comme le dieu grec Zeus, son homologue romain Jupiter, et Yahveh, l’être suprême hébraïque.

Le caractère sacré de la terre est une source importante de hiérophanie. Le culte de Pachamama, déesse mère de la terre, est un phénomène ancien et répandu dans les Andes sud-américaines. Le sol local est une présence sacrée dans d’innombrables cultures du monde entier. La terre est souvent un personnage important dans les mythes relatifs aux premiers temps de la création. Tel est le rôle de Papa (« terre ») dans les récits de création maoris et de Gaia dans les mythes grecs présentés par Hésiode. Souvent, la terre, en tant que hiérophanie de l’être sacré, apparaît comme le partenaire créatif d’un être céleste. Un tel couple divin, ciel et terre déifiés, figurait en bonne place dans les mythologies de l’Océanie, de la Micronésie, de l’Afrique et des Amériques.

Le soleil est devenu une puissante manifestation du sacré au Mexique central (chez les Mixtèques), dans les Andes péruviennes (chez les Incas), en Égypte ancienne et ailleurs. En outre, d’importants héros culturels qui figurent largement dans l’histoire mythique de diverses sociétés (par exemple, chez les Maasaï d’Afrique, les Turco-Mongols et les Indo-Européens) ont souvent des liens essentiels avec les pouvoirs du soleil.

Dans de nombreuses cultures, la fertilité des animaux et des plantes est présidée par le caractère sacré de la lune. Par-dessus tout, les hiérophanies de la lune véhiculent le caractère sacré des rythmes de la vie : saisons des pluies, marées océaniques, temps des semailles, cycle menstruel. Chez les Pygmées d’Afrique centrale, par exemple, la lune, appelée Pe, est la source féconde de la vie nouvelle. Les femmes célèbrent son caractère sacré par des fêtes où l’on boit et danse au moment de la nouvelle lune. Par les métamorphoses qu’elle subit chaque mois, la lune montre ses pouvoirs d’immortalité et sa capacité à régénérer une forme de vie qui inclut même l’expérience de la mort. Les femmes et les serpents deviennent des épiphanies du pouvoir sacré de la lune à travers leur perte périodique de vie sous forme de sang et de peau. Les menstruations sont parfois perçues non seulement comme une perte de sang mais aussi comme une perte de la « peau » qui tapisse l’utérus chaque mois ou de la « peau » qui enveloppe le corps d’un nouvel enfant si la conception a lieu ce mois-là. On pense parfois que les serpents ne perdent pas seulement leur peau mais aussi leur « sang » : Le venin de serpent est considéré comme une espèce de sang qui est « versé » (c’est-à-dire transmis du croc à la victime) lorsqu’un serpent mord sa proie ou lorsque le venin est consommé dans l’infusion du festival.

La physiologie humaine elle-même peut devenir une manifestation du sacré. Les rois divins et les corps mystiques des chamans, transformés par leur contact avec les réalités sacrées, peuvent eux-mêmes devenir des véhicules transparents des pouvoirs sacrés. Même le souffle, l’âme, le sang, le pouls, le sperme et la chaleur corporelle des êtres humains ordinaires peuvent être considérés comme des signes de la présence de forces surnaturelles. Dans certaines traditions yogiques, par exemple, une femme incarne prakṛti, la source éternelle et la puissance créatrice illimitée de la nature. La nudité rituelle de cette yoginī rend possible la révélation d’un mystère cosmique.

Des objets ordinaires tels que des racines, des herbes et des aliments peuvent également manifester le sacré dans une tradition ou une autre, tout comme des objets manufacturés, tels que des épées, des cordes et des marionnettes. Les techniques et les compétences elles-mêmes, les processus de fabrication, révèlent des pouvoirs sacrés. Le travail du fer, le filage et le tissage sont fréquemment des activités sacrées, exercées par des personnes consacrées dans des lieux et des périodes sacrés.

Les mythes cosmogoniques des peuples tribaux, la tradition brahmanique de l’Asie du Sud, les écrits mystiques de Nichiren et de Thérèse d’Ávila, les cérémonies d’intronisation du roi dans l’ancienne Babylone, les fêtes agricoles du Japon, les costumes rituels des chamans danseurs de Sibérie, les fixations symboliques du stupa de Borobudur et les rites d’initiation dans diverses traditions sont tous des hiérophanies. Elles expriment une certaine modalité du sacré et un certain moment de son histoire. Chacune de ces hiérophanies révèle un aspect du sacré ainsi qu’une attitude historique que les humains ont adoptée envers le sacré.

Structure et dialectique du sacré

Au niveau d’analyse le plus général, il existe une structure commune à toutes les hiérophanies. Dès lors que le sacré se manifeste, il se limite lui-même. Son apparition fait partie d’une dialectique qui occulte d’autres possibilités. En apparaissant sous la forme concrète d’une roche, d’une plante ou d’un être incarné, le sacré cesse d’être absolu, car l’objet dans lequel il apparaît reste une partie de l’environnement mondain. D’une certaine manière, chaque hiérophanie exprime un paradoxe incompréhensible découlant du grand mystère sur lequel toute hiérophanie est centrée : le fait même que le sacré soit rendu manifeste tout court.

Cette structure caractéristique de manifestation et de limitation est commune à toutes les hiérophanies. La dialectique de l’apparition et de l’occultation du sacré devient une clé pour comprendre l’expérience religieuse. Une fois que toutes les hiérophanies sont considérées comme équivalentes à cet égard fondamental, on peut trouver deux points de départ utiles pour l’étude de l’expérience religieuse. En premier lieu, toutes les apparences du sacré, qu’elles soient sublimes ou simples, peuvent être considérées dans les termes de la même dialectique du sacré. En second lieu, toute la vie religieuse de l’humanité est placée sur un pied d’égalité. Aussi riche et diverse qu’elle soit, l’histoire religieuse de l’humanité ne présente aucune discontinuité essentielle. Le même paradoxe sous-tend toute hiérophanie : en se manifestant, le sacré se limite lui-même.

Théophanie et kratophanie

Bien que la hiérophanie soit un terme inclusif, on peut distinguer différents types de hiérophanie. Ils dépendent de la forme dans laquelle le sacré apparaît, et de la signification dont le sacré imprègne la forme. Dans certains cas, une hiérophanie révèle la présence d’une divinité. C’est-à-dire que la hiérophanie est une théophanie, l’apparition d’un dieu. Les théophanies sont très différentes les unes des autres dans leur forme et leur signification, selon la nature de la forme divine qui y apparaît. Un coup d’œil aux dieux du panthéon de la mythologie sud-asiatique ou de la mythologie aztèque montre que les divinités peuvent différer sensiblement en révélant diverses formes divines du sacré, même au sein d’une même culture. Il va sans dire que les théophanies de différentes cultures (par exemple, Baal, le dieu de la tempête des anciens Sémites ; Viracocha, le dieu créateur des Incas ; et Amaterasu, la divinité japonaise du soleil et l’ancêtre de la lignée impériale) manifestent des modalités très différentes du sacré. Sous la forme de personnes divines, les théophanies révèlent les valeurs religieuses distinctes de la vie organique, de l’ordre cosmique ou des forces élémentaires du sang et de la fertilité, ainsi que des aspects plus purs et plus sublimes.

Un deuxième type de hiérophanie peut être qualifié de kratophanie, manifestation de puissance. Les kratophanies préservent le sacré dans toute son ambivalence, attirant et repoussant à la fois par sa puissance brute. L’inhabituel, le nouveau et l’étrange fonctionnent souvent comme des kratophanies. Ces choses, personnes ou lieux peuvent être dangereux et souillés, tout en étant sacrés. Les cadavres, les criminels et les malades sont souvent des kratophanies. Les êtres humains dans des circonstances puissantes ou ambivalentes (comme les femmes en période de menstruation, les soldats, les chasseurs, les rois au pouvoir absolu ou les bourreaux) sont entourés de tabous et de restrictions. Les gens s’approchent des aliments sacrés avec une étiquette et des manières conçues pour éviter la souillure, la maladie et la pollution. Les précautions qui entourent les saints, les sacrificateurs et les guérisseurs découlent de la peur de se confronter au sacré. Les kratophanies soulignent à quel point la manifestation du sacré s’immisce dans l’ordre des choses. Les kratophanies mettent également en évidence l’attitude contradictoire de l’être humain à l’égard de tout ce qui est sacré. D’une part, le contact avec les hiérophanies sécurise, renouvelle et renforce sa propre réalité. D’autre part, l’immersion totale dans le sacré (ou une rencontre impropre avec lui) annihile l’existence profane, dimension essentielle de la vie.

Dans tous les cas, une hiérophanie (qu’elle prenne la forme d’une théophanie ou d’une kratophanie) révèle la puissance, la force et la sainteté du sacré. Même les forces de la nature sont vénérées pour leur pouvoir de sanctifier la vie, c’est-à-dire de rendre la fertilité sainte. Les forces de la nature qui apparaissent sous des formes divines ou dans certains objets font participer la vie reproductive à la puissance et à l’abondance illimitées du sacré.

Impact sur l’espace et le temps

Les hiérophanies affectent directement la situation de l’existence humaine, la condition par laquelle les humains comprennent leur propre nature et appréhendent leur destin. Par exemple, les hiérophanies modifient les structures fondamentales de l’espace et du temps. Chaque hiérophanie transforme le lieu dans lequel elle apparaît, de sorte qu’un lieu profane devient une enceinte sacrée. Pour les peuples aborigènes d’Australie, par exemple, le paysage de leurs terres natales est vivant. Ses moindres détails sont chargés des significations révélées par le mythe. Parce que le sacré est d’abord apparu dans ces lieux (pour garantir un approvisionnement en nourriture et pour enseigner aux humains comment se nourrir), ils deviennent une source inépuisable de pouvoir et de sacralité. Les humains peuvent revenir à ces lieux à chaque génération, pour communier avec la puissance qui s’y est révélée. En fait, les peuples autochtones expriment un besoin religieux de rester en contact direct avec les sites hiérophaniques. On peut dire que la hiérophanie, liée au lieu transformé de son apparition, est capable de se répéter. La conviction est largement répandue que les hiérophanies se reproduisent dans un lieu où le sacré est apparu. Cela explique pourquoi les habitations humaines et les villes sont construites près des sanctuaires. Les cérémonies de consécration, de pose de la première pierre ou des fondations des temples, des sanctuaires, des villes sacrées, des capitales, et même des ponts et des maisons, reprennent souvent ou font écho à des actes de hiérophanies fondamentales, comme la création du monde. Parfois, ils provoquent même un signe indiquant l’emplacement d’une hiérophanie (par exemple, la libération d’un animal et son sacrifice à l’endroit où il sera retrouvé plus tard, ou la géomancie). Ces rituels de fondation et de construction garantissent que le site perpétuera la présence d’une hiérophanie qui est apparue pour la première fois dans les limites d’un lieu et d’un événement structurés de manière similaire. Les enceintes des festivals et des cérémonies sont souvent consacrées de cette manière. Ainsi, par exemple, les Yuin, les Wiradjuri et les Kamilaroi, groupes aborigènes d’Australie, préparent un sol sacré pour leurs cérémonies d’initiation. Le sol représente le camp de Baiame, l’être suprême.

Les hiérophanies transforment également le temps. Une hiérophanie marque une percée du temps profane au temps magico-religieux. De même que les espaces sacralisés par une hiérophanie peuvent être reconstruits par des actes de consécration, les actes de hiérophanie sont répétés dans le calendrier sacré de chaque année. Les rituels qui répètent le moment d’une hiérophanie recréent les conditions du monde dans lequel le sacré est apparu à l’origine, et à ce moment-là, lorsque le sacré se manifeste à nouveau de la même manière, un pouvoir extraordinaire écrase la succession profane du temps. Les cérémonies du Nouvel An sont parmi les exemples les plus frappants de la recréation périodique du monde dans un état aussi frais, puissant et prometteur qu’à l’origine. Tout fragment de temps (par exemple, les phases de la lune, les transitions du cycle de la vie humaine, les solstices, les saisons des pluies, les cycles de reproduction des animaux, les cycles de croissance des plantes) peut à tout moment devenir hiérophanique. S’il est témoin de la survenue d’une kratophanie ou d’une théophanie, le moment lui-même devient transfiguré ou consacré. On s’en souviendra et on le répétera. Les rythmes de la nature sont évalués pour leur pouvoir hiérophanique, c’est-à-dire pour les signes du pouvoir de renouveler et de recommencer la vie cosmique. En outre, les moments hiérophaniques du temps ne se limitent pas aux rythmes cosmiques de la nature ou de la biologie. Dans la tradition judéo-chrétienne, par exemple, l’histoire humaine est transfigurée en une théophanie. La manifestation de Dieu dans le temps garantit la valeur religieuse des images et des symboles chrétiens tels que la croix, la montagne sainte du Calvaire et l’arbre cosmique.

Implications pour l’étude de la vie symbolique

La transfiguration de tant d’objets en symboles de quelque chose d’autre, d’une réalité sacrée, a des répercussions sur la compréhension de la nature des symboles. L’étude des hiérophanies permet de pénétrer le sens de la vie symbolique et de découvrir la fonction du symbolisme en général. L’être humain a un sens inné du symbolique, et toutes ses activités impliquent du symbolisme. En particulier, les actes religieux ont un caractère symbolique. Dès l’instant où il devient religieux, tout acte ou objet est imprégné d’une signification qui est symbolique, renvoyant à des valeurs et des réalités surnaturelles.

Les symboles se rattachent au sacré de plusieurs manières. Parfois, les formes symboliques deviennent sacrées parce qu’elles incarnent directement l’esprit ou le pouvoir d’êtres transcendants (par exemple, des pierres qui sont les âmes des morts, ou qui représentent un dieu). Dans ces cas, la hiérophanie est effectuée par un symbolisme directement associé à la forme réelle (c’est-à-dire une forme appréhendée par l’expérience religieuse, plutôt que par l’expérience empirique ou rationnelle) de la pierre, de l’eau, de la plante ou du ciel.

A d’autres moments, la signification d’une forme religieuse peut dériver d’un symbolisme moins clair. Les objets religieux deviennent des hiérophanies d’une manière moins directe, par le biais de l’existence symbolique elle-même. Ils acquièrent une qualité religieuse en raison du symbolisme qui leur confère une signification religieuse. Autrement dit, ils deviennent sacrés en raison de leur emplacement dans un système symbolique. Leur sacralité dépend d’une conscience capable d’établir des connexions théoriques entre les expressions symboliques. Dans ces cas, la hiérophanie s’effectue par la transformation de formes concrètes en un nœud de principes et de pouvoirs cosmologiques.

Par exemple, le symbolisme qui a entouré la perle à travers l’histoire travaille à la transformer en un « centre cosmologique » qui rassemble les significations religieuses clés associées à la lune, aux femmes, à la fertilité et à la naissance. Le symbolisme de la perle est très ancien. Les perles apparaissent dans les tombes préhistoriques et ont une longue histoire d’utilisation en magie et en médecine. Un examen attentif des mythes relatifs aux perles dans de nombreuses cultures révèle que l’eau imprègne les perles de sa force germinative. Les perles étaient incluses dans les offrandes rituelles aux dieux des rivières. Certaines perles ont un pouvoir magique car elles sont nées de la lune. La perle est comme un fœtus, et pour cette raison, les femmes portent des perles pour entrer en contact avec les pouvoirs fertiles des processus créatifs cachés dans les coquillages, dans les eaux amniotiques et dans la lune. Les perles ont également été utilisées pour soigner les maladies associées à la lune. Placées dans les tombes, les perles renouvelaient la vie des morts en les mettant en contact avec les puissants rythmes régénérateurs de la lune, de l’eau et de la féminité. Recouvert de perles, le mort est replongé dans le cycle de la naissance, de la vie, de la mort et de la renaissance, la carrière des formes vivantes intimement liée à la lune. En somme, la perle devient une hiérophanie lorsque les humains prennent conscience du schéma cosmologique de l’eau, de la lune, des femmes et du changement.

Ce type de symbolisme sacré trouve son origine dans la théorie ; plus précisément, une théorie des symboles. Ce qui donne à l’objet sacré en question (par exemple, une perle) sa signification religieuse riche et complète est le cadre du symbolisme qui l’entoure. Celui-ci est déclenché par une prise de conscience de l’univers symbolique plus large. Cette conclusion est importante pour comprendre le rôle de la réflexion humaine dans l’origine de certaines hiérophanies. Un objet devient sacré, devient le lieu d’une hiérophanie, lorsque l’homme prend conscience du modèle cosmologique de principes (par exemple, l’eau, la lune, le changement, le cycle de la mort et de la naissance) qui y est centré. Les liens théoriques rendent possible l’expérience de toute la gamme de la sacralité. La forme tire sa pleine signification du symbolisme qui l’entoure et dont elle fait partie. En effet, les symboles étendent la gamme des hiérophanies. Des objets qui ne sont pas directement le lieu d’une hiérophanie peuvent devenir sacrés en raison de leur enveloppement dans une toile ou un motif de symbolisme.

Deux déclarations connexes doivent maintenant être faites séparément. La première considération est que les hiérophanies peuvent devenir des symboles. A cet égard, les symboles sont importants car ils peuvent soutenir ou même remplacer les hiérophanies. Cependant, les symboles jouent un rôle encore plus surprenant et créatif dans la vie religieuse : Ils poursuivent le processus de hiérophanisation. En effet, le symbole lui-même est parfois une hiérophanie, c’est-à-dire qu’il révèle une réalité sacrée qu’aucune autre manifestation ne peut dévoiler. Hiérophanie à part entière, le symbolisme permet une solidarité ininterrompue entre l’homme (homo symbolicus ) et le sacré. Prolongeant la dialectique des hiérophanies, le symbolisme transforme les objets en quelque chose d’autre que ce qu’ils semblent être dans la sphère naturelle. Grâce au symbolisme, tout objet du monde peut devenir un signe de la réalité transcendante et une incarnation du caractère sacré de tout un système symbolique. En fait, on peut dire que le symbolisme lui-même reflète le besoin humain de prolonger à l’infini le processus de hiérophanisation. Si l’on considère le nombre remarquable de formes qui ont manifesté le sacré tout au long de la vaste histoire des religions, on en conclut que la vie symbolique tend à identifier l’univers dans son ensemble à la hiérophanie et ouvre ainsi l’existence humaine à un monde significatif.

Voir aussi

Pearl ; Revelation ; Sacred and the Profane, The ; Symbol and Symbolism.

Bibliographie

Mircea Eliade est le plus responsable de l’utilisation du terme hierophany et de son interprétation comme manifestation du sacré dans les études religieuses. Voir Patterns in Comparative Religion d’Eliade (New York, 1958) pour une analyse de la variété des formes symboliques cohérentes des hiérophanies et pour un argument concernant la dialectique du sacré qui les sous-tend (notamment dans le dernier chapitre). Son ouvrage The Sacred and the Profane : The Nature of Religion (New York, 1959) traite de l’impact d’une hiérophanie sur les structures de l’espace et du temps. L’herméneutique de Mircea Eliade (Paris, 1980) d’Adrian Marino montre comment cette compréhension de la hiérophanie s’inscrit dans une science générale de la culture. Alejandra Siffredi, « Hierofanias y concepciones mítico-religiosas de los Teheulches meridionales », Runa (Buenos Aires) 12 (1969-1970) : 247-271, illustre l’application du concept de hiérophanie à l’ethnographie des cultures individuelles. Michel Meslin, « Le merveilleux comme théophanie et expression humaine du sacré », in Le sacré : Études et recherches, 2e éd., édité par Enrico Castelli (Paris, 1974), p. 169-177, fait une application largement comparative du terme théophanie. Bruce Lincoln, « Revolutionary Exhumations of Spain, July 1936 », Comparative Studies in Society and History 27 (avril 1985), p. 241-260, montre comment la logique de la dialectique du sacré incarnée dans cette théorie de la hiérophanie peut être étendue même à ce que Lincoln appelle la « profanophanie ». L’utilisation du terme hiérophanie, et de la théorie du sacré qui l’accompagne, a provoqué un débat animé dans les études religieuses. On peut trouver des réactions, à la fois réceptives et critiques, en consultant les ouvrages cités dans Mircea Eliade de Douglas Allen et Dennis Doeing : An Annotated Bibliography (New York, 1980).

Nouvelles sources

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Embodiment et expérience. Thomas J. Csordas, éditeur. New York, 1994.

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Meslin, Michel. Expėrience humaine du divin : fondements d’une anthropologie religieuse. Paris, 1988.

Miroir de l’intellect : Essais sur la science traditionnelle et l’art sacré. William Stoddart, éditeur et traducteur. Albany, 1987.

Mohen, Jean-Pierre. Le monde des mégalithes. New York, 1990.

Mircea Eliade (1987)

Lawrence E. Sullivan (1987)

Bibliographie révisée

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