Comment l’impression 4D va-t-elle perturber nos techniques de fabrication actuelles ?

En avril 2013, Skylar Tibbits, fondateur du MIT Self-Assembly Lab, a animé une conférence TEDx au cours de laquelle il a introduit un nouveau concept dans le processus d’impression 3D. Pour la première fois, il a introduit une quatrième dimension à cette technologie qui bouleversait déjà de nombreux secteurs. Il a expliqué que l’impression 4D revenait à ajouter une nouvelle caractéristique à un matériau qui serait utilisé pour l’impression 3D, plus précisément il s’agissait de la capacité du matériau à se transformer au fil du temps. En effet, grâce à l’impression 4D, un matériau peut changer de forme par lui-même, sans aucune intervention humaine mais simplement sous l’influence de facteurs externes tels que la lumière, la chaleur, les vibrations, etc.

Depuis, l’impression 4D a suscité l’intérêt de nombreuses industries qui y voient un grand potentiel pour personnaliser des dispositifs et des structures. Selon le rapport Gartner 2019, l’intérêt pour l’impression 4D ne cesse de croître. D’ici 2023, les startups axées sur cette technologie devraient attirer 300 millions de dollars en capital-risque. Alors forcément, face à ce constat, on se demande quel sera l’avenir de l’impression 4D. Va-t-elle remplacer la fabrication additive pour certaines applications ? Quel sera son impact sur l’industrie ?

L'impression 4D

Cet objet imprimé en 3D change progressivement de forme en raison de facteurs externes. En d’autres termes, c’est un objet imprimé 4D | Crédits : Self-Assembly Lab

Comment fonctionne l’impression 4D ?

L’impression 4D s’inspire fortement du principe d’auto-assemblage, qui n’est pas un concept nouveau. Vous avez probablement entendu parler de l’auto-assemblage moléculaire où les molécules forment des structures complexes sans aucune intervention humaine. Un concept largement utilisé dans les nanotechnologies également, par exemple. L’impression 4D fait donc passer ce principe au niveau supérieur. S’il est possible pour de petites structures à l’échelle microscopique de s’assembler et de se déplacer par elles-mêmes, pourquoi ne pas l’imaginer sur des objets imprimés en 3D de plus grande taille ?

Alors que l’impression 3D produit des objets qui conservent leur forme fixe, l’impression 4D va modifier leur forme mais aussi leur couleur, leur taille, leur façon de bouger, etc. Elle utilise des matériaux dits « intelligents » dans l’industrie, qui ont été programmés pour changer de forme sous l’influence d’un facteur extérieur, le plus souvent la température, comme lorsqu’un ordinateur obéit à un code. Ce « code » est donc ajouté au matériau et fournit des instructions à la pièce imprimée en 3D. Bastien E. Rapp, président du laboratoire de technologie des procédés NeptunLab, explique : « L’impression 4D est la forme fonctionnelle de l’impression 3D. Au lieu d’imprimer uniquement des structures physiques, nous pouvons désormais imprimer des fonctions. C’est comme intégrer un morceau de code dans un matériau – une fois déclenché, il fait ce que vous avez programmé. »

Matériaux et technologies d’impression 4D

Les matériaux d’impression 4D ne sont pas aussi variés que ceux de la fabrication additive car la technologie en est encore à ses débuts mais il est important de noter qu’il en existe différents. Commençons par les polymères à mémoire de forme (PMF), qui sont des matériaux capables d’emmagasiner une forme macroscopique, de la conserver pendant un certain temps et de retrouver sa forme initiale sous l’effet de la chaleur, sans la moindre déformation résiduelle. D’autres stimuli indirects peuvent également provoquer cette transformation : un champ magnétique, un champ électrique ou une immersion dans l’eau.

Un autre matériau d’impression 4D est constitué d’élastomères à cristaux liquides (ECL) qui, comme leur nom l’indique, contiennent des cristaux liquides sensibles à la chaleur. En contrôlant leur orientation, il est possible de programmer la forme souhaitée. Sous l’effet de la température, le matériau va se dilater et se transformer selon le code dicté. Le troisième matériau sont les hydrogels, ce sont des chaînes de polymères principalement composées d’eau, particulièrement utilisées dans les procédés de photopolymérisation. Ils sont d’un grand intérêt pour le secteur médical en raison de leur biocompatibilité.

Certains procédés d’impression 4D utilisent des multi-matériaux. Ce sont principalement des composites qui sont ajoutés aux SMP ou aux hydrogels, comme les fibres de carbone ou de bois. Le MIT Self-Assembly Lab a commencé ses recherches en impression 4D à partir d’une machine Stratasys Connex, sur le principe du material jetting, un procédé multi-matériaux. Bien sûr, il existe d’autres matériaux d’impression 4D, comme les céramiques par exemple, mais nous avons décidé de nous concentrer sur les principaux.

Crédits : Self-Assembly Lab

Finalement, tout le processus d’impression 4D réside dans le matériau. Il est donc nécessaire de comprendre comment il va réagir à certains stimuli. Bastien E. Rapp explique qu' »une très bonne connaissance des matériaux est nécessaire pour faciliter l’impression 4D. » Une fois celle-ci bien intégrée, on peut utiliser différentes technologies d’impression 3D : la stéréolithographie, le jet de matière (pour tous les multi-matériaux), la fabrication de filaments fondus (travail avec les polymères). Le plus souvent, l’imprimante 3D utilisée est une machine améliorée capable de prendre en compte la 4ème dimension. Bastien E. Rapp poursuit : « Selon la complexité de votre 4ème dimension, il peut être aussi simple que d’imprimer deux matériaux en parallèle. Cela peut aussi impliquer de chauffer ou de refroidir le matériau pendant le processus de fabrication. Il existe de nombreuses méthodes, qui nécessitent toutes des conditions spécifiques. »

Applications de l’impression 4D

Puisqu’il est possible de programmer un matériau intelligent comme on le souhaite, il peut sembler que les applications de l’impression 4D soient assez vastes. Imaginez un objet pouvant prendre n’importe quelle forme : la technologie peut alors impacter le secteur de la construction pour bâtir des structures adaptables aux conditions climatiques, les biens de consommation pourraient s’adapter aux besoins des gens, ou encore dans le secteur médical, etc. L’une des premières idées de Skylar Tibbits était d’utiliser l’impression 4D pour fabriquer des tuyaux intelligents. Ces tuyaux seraient capables de changer de forme en fonction du volume d’eau qu’ils contiennent mais aussi lorsqu’un phénomène quelconque se produit sous terre. Cela éviterait de les déterrer et de les changer – un processus long et très coûteux.

L’un des secteurs les plus intéressés par l’impression 4D est sans aucun doute le secteur médical. L’impression 4D pourrait permettre la création de dispositifs sur mesure, intelligents et évolutifs. Par exemple, en imprimant en 4D un implant, il serait plus facile de contrôler son état et sa viabilité une fois intégré par le patient. Il en va de même pour toute la médecine régénérative et la fabrication de structures cellulaires. L’impression 4D pourrait permettre aux cellules de s’adapter à un corps humain en fonction de sa température, par exemple. Chloé Devillard, qui prépare actuellement sa thèse à 3d.FAB, nous a expliqué : « Nous travaillons avec l’impression 4D pour des applications en ingénierie tissulaire et en médecine régénérative afin de réparer des organismes vivants. Je l’utilise notamment pour reproduire un vaisseau sanguin le plus proche possible de la réalité en termes de physiologie, de fonction et de mécanique. Nous pouvons créer des constructions aussi proches que possible des êtres vivants. »

3d.Fab travaille actuellement sur des projets d’impression 4D pour créer des vaisseaux sanguins | Crédits : 3d.Fab

Enfin, imaginez un médicament imprimé en 4D qui pourrait libérer sa substance en fonction de la température corporelle du patient. C’est l’un des projets de recherche du Dr Fang au MIT, explique-t-il : « Nous voulons utiliser la température du corps comme un déclencheur. Si nous parvenons à concevoir correctement les polymères, nous pourrons peut-être créer un dispositif d’administration de médicaments qui ne libèrera le médicament que si une fièvre apparaît. »

Le secteur des transports au sens large s’intéresse également à l’impression 4D, que ce soit dans l’industrie automobile ou aérospatiale. En 2018, nous vous parlions du matériau gonflable qui avait été mis au point par BMW et le MIT, il se gorgeait de forme et de taille sous l’effet d’impulsions d’air. Un matériau intéressant pour concevoir les futurs pneus, par exemple, capables de s’autoréparer en cas de crevaison ou de s’adapter aux conditions climatiques les plus extrêmes. Au-delà des voitures, on peut aussi parler des avions. Un composant imprimé en 4D pourrait réagir aux changements de pression atmosphérique ou de température, et donc changer de fonction – Airbus travaille actuellement sur cette question. Le géant de l’aéronautique explique que ces composants pourraient remplacer les charnières, les actionneurs hydrauliques et ainsi réduire considérablement le poids de ces appareils.

Imaginez un tabouret qui se plie et se déplie tout seul

Crédits : Self-Assembly Lab

Enfin, l’impression 4D est plus qu’intéressante pour toutes les applications qui nécessitent un haut degré de personnalisation puisqu’il est possible de programmer le matériau en fonction de nos besoins. A ce stade, le concept peut paraître étrange mais on pourrait imaginer des vêtements qui prennent la forme réelle de notre corps, des meubles qui se plient et se déplient pour gagner de la place, etc.

Le futur de l’impression 4D

Bien que pleine de promesses, cette technologie présente encore de nombreuses limites : quelle est la résistance réelle des matériaux intelligents dans le temps ? Seront-ils encore capables d’assurer leurs fonctions sur le long terme ? De nombreuses entreprises testent encore ce procédé de fabrication et peu ont communiqué leurs résultats. Bastien E. Rapp nous a confié que l’impression 4D implique un certain nombre de connaissances très techniques, ce qui rend plus difficile de la démocratiser autant que la fabrication additive. « Comme il s’agit d’une matière assez complexe, qui nécessite une très bonne maîtrise des matériaux et de la fabrication, elle ne deviendra peut-être pas aussi largement disponible et accessible que l’impression 3D elle-même. Mais il aura néanmoins un impact significatif sur l’industrie. »

BMW a imprimé en 4D un matériau en silicone capable de se gonfler tout seul : est-ce l’avenir du pneumatique ?

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